Le Sel – מלח | المل

© Hélène Harder

Texte Karima El Kharraze, Christelle Harbonn – mise en scène Christelle Harbonn, Compagnie Demesten Titip – spectacle en français, hébreu et arabe surtitré – à l’Échangeur/Théâtre de Bagnolet

Deux histoires se mêlent dans ce récit intitulé Le Sel – qui se traduit par mellah en hébreu comme en arabe et qui symbolise la fraternité. L’une se déroule au Maroc en 1890, dans le quartier juif de Marrakech où Ephraïm Barsheshet choisit de partir étudier en terre sainte plutôt que de vivre sa vie avec son épouse dont il est pourtant amoureux et qui accouche de leur premier enfant ;  « notre vie est ailleurs, ça m’appelle » dit-il. La seconde histoire se passe en France en 2020 où l’arrière-petit-fils d’Ephraïm, nommé Jésus, vivant avec son compagnon, s’interroge sur les questions d’adoption et part à la recherche de ses origines sur les traces de l’oncle qui aurait voyagé à dos d’âne de Marrakech à Jérusalem. « Le mauvais œil on est né dedans » dit Ephraïm.

Entre ces deux époques et ces deux géographies, Karima El Kharraze et Christelle Harbonn parlent de déplacements et d’exil, de langues et de frontières. Elles proposent ce voyage initiatique comme une parabole, sans chronologie ni vérité historique, entre perceptions, symboles et esthétiques. Deux résidences d’écriture ont permis à Christelle Harbonn de rechercher l’histoire de sa famille et plus largement celle des Juifs au Maroc, la première en mai 2019 à Marrakech, la seconde en décembre 2019, à Jérusalem. Co-auteure du texte avec Karima El Kharraze, elle s’intéresse à la notion du départ, voulu ou forcé, programmé ou improvisé, comme chez ceux qui, suite à un choc traumatique, abandonnent brutalement leurs proches et partent, sans regarder derrière eux, sans savoir où.

Le Hezbollah, l’explosion de Beyrouth et les problèmes de visas planent sur la pièce et s’entrechoquent dans le temps, tandis que l’enquête familiale et la recherche des ancêtres se poursuit au Maroc et tandis que le couple d’hommes essaie de faire valoir son droit au bonheur. Les espaces se font et se défont comme en fondu-enchaîné, dans une scénographie dépouillée sentant bon le sable et les pépiements d’oiseaux (scénographie Sylvain Faye), dans un geste de lumière très réussi (Jean-François Domingues) et une bande son qui transmet les sensations des lieux et la perception des accords musicaux du oud (création sonore Gwennaëlle Roulleau – oud Jean-François Oliver).

Portée par une équipe d’acteurs – travaillant à partir d’improvisations et d’écriture de plateau et jouant avec une grande justesse – la mise en scène ouvre sur les imaginaires et les retours dans le temps. Elle dessine avec précision et subtilité les signes sur le sable qui permettent de retrouver les identités perdues dans le glissement d’un pays à l’autre et le questionnement sur l’arrachement et le départ. L’ensemble révèle la complexité humaine avec un certain onirisme. Créée en 2008, la compagnie Demesten Titip poursuit sa route avec bonheur autour des concepts d’identité et de temps, anagramme de son nom, et creuse, spectacle après spectacle,  autour des fêlures de ses anti-héros.

Brigitte Rémer, le 11 février 2023

© Hélène Harder

Avec Michael Charny, Tamara Saade, Gilbert Traïna. Dramaturgie Karima El Kharraze Traduction Karima El Kharraze, Michael Charny – scénographie Sylvain Faye – création sonore Gwennaëlle Roulleau – oud Jean-François Oliver – création lumière Jean-François Domingues – régie plateau Marion Piry – création costume Camille Lemonnier – stagiaire mise en scène Célia Pistono – stagiaire assistanat général Tézya Tschaenn – administration Romain Picolet.

Du 23 au 31 Janvier 2023 à 20h30, 14h30 le jeudi 26, 17h le dimanche 29, relâche mercredi 25 janvier, à l’Échangeur/Théâtre de Bagnolet – 59 avenue de Général de Gaulle 93170 Bagnolet – métro : Galliéni – site : www.lechangeur.org tél. : 01 43 62 71 20 – En tournée : Théâtre de Châtillon le 7 février 2023 – Théâtre du Briançonnais/scène conventionnée de Briançon en mars 2023.